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objet d'art

Cabaret de l'Apothéose

En 1817 et 1818, la Manufacture royale de Sèvres réalise un exceptionnel service à thé. Théière, pot à sucre, tasses et soucoupes sont posés sur un grand plateau également de porcelaine. On appelle ce type de plateau creux, un « cabaret », car il est plutôt destiné à accueillir des services de verres à liqueur… Le plateau et son décor spectaculaire donneront le nom à l’ensemble : ce sera le « Cabaret de l’Apothéose ». Le service - plateau et pièces hautes - est présenté au public au Louvre le 1er janvier 1818. Il y remporte un beau succès. Le roi Louis XVIII en fera lui-même l’acquisition pour l’offrir à son neveu, le duc d’Angoulême. Si cette création témoigne de l’extraordinaire virtuosité technique des ouvriers et artistes de la Manufacture royale, elle est aussi (et surtout ?) porteuse d’un message éminemment politique : en exaltant la figure et le règne d’Henri IV, premier roi Bourbon, on célèbre son descendant Louis XVIII, de retour sur le trône de France après la Révolution et l’Empire.


Les pièces hautes sont ornées de délicats motifs de grotesques et de médaillons à l'effigie de personnages du règne d’Henri IV. Ces grotesques affectent la forme de fleurs, rinceaux, torches, lyres, cygnes, chimères et autres animaux fantastiques à tête de lion ou de perroquet. Les couleurs vives et la dorure étincelante sur un fond de platine (gris clair) mettent en valeur des médaillons où des profils d’hommes sont peints en manière de camée. Deux fidèles d’Henri IV sont à l’honneur sur la théière : d’un côté Sully, de l’autre Louis Balbes de Crillon. Armes et boulets de canon qui sont peints sous les médaillons rappellent que le premier fut grand-maître de l’artillerie et le second un valeureux compagnon d’armes du roi Bourbon. Sur le sucrier figurent Achille de Harlay, premier président du Parlement de Paris et le cardinal Arnaud d’Ossat, l’un des artisans de l’absolution d’Henri IV par le pape Clément VIII et de la dissolution de son mariage avec Marguerite de Valois. Sur les deux tasses, sont représentés le diplomate Nicolas de Harlay de Sancy et le maréchal de France Jean d’Aumont. Fidélité à son souverain, courage et valeur militaire, finesse diplomatique et politique, autant de qualités qui sont exaltées à travers le choix de ces personnages. Les motifs sont complétés sur les tasses et au centre des soucoupes par un décor imitant les médailles, toujours en référence au règne d’Henri IV. Ces éléments de décor ont été peints d’après des dessins du peintre Louis-Bertin Parant (1766-1851), l’un des meilleurs spécialistes de la peinture sur porcelaine en manière de camée.


Si les pièces hautes sont remarquables, c’est le plateau surtout qui retient l'attention, par ses dimensions et par la virtuosité dont témoigne son décor. Peint en manière de camée, il est entièrement l’œuvre de Parant. Il y déploie sur deux registres une apothéose d'Henri IV. Dans la partie supérieure, Jupiter, assis sur un trône soutenu par un aigle, accueille Henri IV au rang des héros, parmi lesquels on reconnaît Hercule, Alexandre le Grand ou Jules César. À leurs pieds, la France alanguie portant casque et drapé fleurdelisés, s'appuie sur une corne d'abondance. Elle tient à la main la palme de la victoire, tandis qu’autour d’elle des putti s’affairent : l’un s’appuie sur son épaule et désigne la scène du registre supérieur, quatre tentent de saisir l’épée que le roi laisse échapper, un autre écrit le nom du souverain sur une tablette. L’artiste a joué sur les effets de contrastes : les personnages aux tons ocres et blancs ressortent sur un fond sombre, lui-même rehaussé par l’or bruni du rebord.


En 1980, le Musée national a acquis le plateau avec théière, sucrier, deux tasses et leurs soucoupes. Dix ans plus tard, cet ensemble a été complété par l’acquisition d’une troisième tasse avec sa soucoupe. La tasse porte l’effigie de François de Bonne de Lesdiguières. A ce jour, la quatrième tasse qui devait composer le cabaret n’a pas été retrouvée.