L’Heptaméron, un des trésors des collections de la bibliothèque

Le 20 janvier 2023, la bibliothèque a inauguré un nouveau cycle d’animations appelé « Zoom sur… ».

Pour cette première rencontre avec le grand public, nous avons choisi de sortir des collections un de nos trésors : L’Heptaméron de Marguerite de Navarre. Nous possédons une des premières éditions de ce texte majeur, publié à Paris, en 1560, par Benoît Prévost.

Voyez ci-dessous le frontispice de l’ouvrage (ou la page de titre) orné d’une très belle gravure :

Frontispice  Heptameron

Nous possédons un ouvrage assez spécial, de prime abord. En effet, quand on regarde sa couverture, très belle, rouge, avec les pages dorées, qui semble donc bien trop récente pour un livre du XVIe siècle, on peut penser que le texte n’est pas authentique.

Il l’est ! Le texte est bien du XVIe siècle, mais la reliure a été refaite entièrement au XIXe siècle.

Couv_Heptameron

 

 

 

 

 

 

 

I. Qui était Marguerite d’Angoulême, puis de Navarre (1492-1549) ?

On ne la présente plus, ou presque ! Sœur de François Ier, grande femme de lettres et protectrice de nombreux artistes. À ne pas confondre avec une autre Marguerite très célèbre, et liée elle aussi à Henri IV, puisqu’elle l’a épousé, Marguerite de Valois, la fameuse « Reine Margot ».

Allez découvrir quelques éléments de sa biographie ici : https://chateau-pau.fr/collection/objet/henri-dalbret-et-marguerite-de-navarre
Elle passe de nombreuses années à cumuler les charges de femme de pouvoir et de femme de lettres. Elle écrit des poèmes, notamment des textes très émouvants après la mort de son frère, mais aussi des nouvelles.

II. L’Heptaméron

Marguerite a lu un ouvrage italien, et en a repris des éléments pour son texte. Nous parlons ici du Décaméron, de Boccace. C’est un recueil de 100 nouvelles, publié entre 1349 et 1353. L’histoire se déroule dans une Florence ravagée par la peste. De jeunes aristocrates décident de passer 10 jours (« Déca » « éméra », en grec ancien) à la campagne, dans une villa isolée, le temps que l’épidémie cesse. Ils y passent de belles journées ensoleillées, et se racontent des histoires pour passer le temps.

Dans l’Heptaméron, l’élément déclencheur de l’histoire est aussi un événement catastrophique, mais ici il est climatique : des pluies diluviennes provoquent des inondations partout au pied des Pyrénées. Les ruisseaux débordent, les maisons sont inhabitables, et les ponts sont emportés par les eaux. C’est justement un de ces ponts que devait emprunter un groupe de personnes, qui se réfugient au plus près, c’est-à-dire à Notre-Dame de Sarrance. L’endroit est très isolé. Les protagonistes estiment que le pont sera reconstruit dans 10 jours. Ils sont donc coincés ensemble, et se racontent des histoires pour passer le temps. Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Nous ne saurons jamais, hélas, si le pont est reconstruit au dixième jour, puisque Marguerite est décédée avant d’achever son récit. Nous avons donc seulement 7 journées (« Hepta » « éméra »).

Ce sont donc des huis-clos, et des récits dans le récit, puisque les « devisants », qui sont les personnages de l’histoire, sont également narrateurs d’autres histoires. La grande différence entre le Décaméron et l’Heptaméron est dans l’ambiance générale du récit : là où les protagonistes de Boccace sont des jeunes gens qui passent leurs journées de façon plaisante, Marguerite crée un climat de peur et d’inquiétude face aux éléments déchaînés du dehors.

Une des particularités de l’ouvrage est la liberté de ton des protagonistes narrateurs. Ils sont à égalité de genre, 5 hommes et 5 femmes, à échanger sur les thèmes de l’amour, et des relations entre les hommes et les femmes.

Les hommes d’église pâtissent grandement de la plume acérée de l’autrice. Marguerite devait en détester certains, les Cordeliers notamment. Dans son œuvre, la plupart des religieux sont d’une hypocrisie consternante et surtout occupés à assouvir leurs instincts sexuels en donnant mauvaise conscience à leurs malheureuses victimes. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est une œuvre qui vise à l’élévation morale. Les personnages écoutent le narrateur ou la narratrice raconter son histoire. Ensuite, et c’est également très intéressant, il y a un « débat » entre les devisants. Une conversation, parfois très vive, s’engage sur les leçons à tirer de l’histoire qu’ils viennent d’écouter.

III. Focus sur une des nouvelles : « Amours d’Amadour et de Florinde, où sont contenues maintes ruses et dissimulations, avec la très louable chasteté de Florinde »

Nous nous appuyons sur l’édition suivante, avec appareil critique, pour donner des numéros de pages : Œuvres complètes. Volume X, L’Heptaméron / Marguerite de Navarre ; édition critique établie, présentée et annotée par Nicole Cazauran et Sylvie Lefèvre ; notes sur les éditions anciennes par Annie Charon-Parent et William Kemp. – éditeur : Honoré Champion, 2013.

C’est une longue nouvelle de 50 pages environ, qui clôture la première journée de « captivité » de nos protagonistes, et qui porte le numéro 10. Des thématiques se déploient dans cette nouvelle qui nous a paru représentative à la fois des thèmes de l’Heptaméron et de la modernité des sujets évoqués par Marguerite.

L’histoire se déroule en Aragon, le Comte et la Comtesse d’Arande ont une fille, Florinde, très belle. Pendant les guerres entre la France et l’Espagne, des gentilshommes s’illustrèrent par leur bravoure, par exemple le jeune Amadour, beau jeune homme courageux. Il tombe amoureux de Florinde, qui a douze ans à ce moment-là.

Il décide d’attendre et de se rapprocher de son cercle intime pour se faire aimer de son entourage et ainsi de Florinde elle-même. Il échafaude pour ce faire tout un plan. Il épouse d’abord la sœur de lait de Florinde. Ensuite, il entretient des relations avec de très belles femmes, pour détourner les soupçons. Ce n’est que 5 ans plus tard qu’il déclare ouvertement sa flamme à Florinde. Florinde accepte cet amour courtois.

La guerre reprend, Amadour est obligé d’y aller. Il manigance tout de même pour que sa femme suive Florinde partout où elle irait, si par malheur elle se mariait pendant son absence. On annonce la mort d’Amadour au combat à Florinde, qui souffre mais qui se montre toujours d’une grande vertu. Ce dernier lui écrit pour démentir cette information. Pendant ce temps-là, elle se marie, avec le Duc de Cardonne. Puis l’épouse d’Amadour meurt.

Là, le récit bascule, il prend une autre dimension. Amadour libéré du mariage se fait plus pressant, plus entreprenant auprès de la belle Florinde. Voyons ensemble quelques extraits parlants :

    ••• Page 133 : sachant qu’il ne la reverrait sans doute jamais, il fait semblant d’être au plus mal pour qu’elle s’approche de lui et « cherche ce que l’honneur des femmes défend ». S’ensuit un passage édifiant où l’homme réclame son « dû ».

     ••• Page 142 : pour échapper à cet amant qui devient agresseur, Florinde essaye la ruse, en se frappant le visage avec une pierre. Elle se dit que si elle est moins belle, il ne la désirera plus. Mais la ruse échoue, puisque nous assistons à une nouvelle tentative de la forcer.
On voit une critique de l’amour courtois de la part de Marguerite, ou en tout cas un détournement. Amadour pense qu’il a supporté assez d’épreuves pour avoir sa récompense, c’est-à-dire réussir à monter dans le lit de Florinde.

Pour conclure, on peut dire que cette princesse du XVIe siècle explore des thèmes qui sont encore incroyablement actuels. Nous parlons beaucoup de nos jours du concept du consentement, par exemple, que l’on a pu lire avec Amadour et Florinde.

Pour en savoir plus (bibliographie) :

CAZAURAN, Nicole, Variétés pour Marguerite de Navarre 1978-2004 : autour de l’Heptaméron. – Honoré Champion, 2004.
COLLOQUE INTERNATIONAL (Pau) (1992), Marguerite de Navarre : 1492-1992 : actes du colloque international de Pau . – Ed. Interuniversitaires, 1995.

FEBVRE, Lucien (1878-1956), Autour de l’Heptaméron : amour sacré, amour profane. – Gallimard, 1944.
KARLSSON, Britt-Marie (1959-…), Sagesse divine et folie humaine : étude sur les structures antithétiques dans l’Heptaméron de Marguerite de Navarre. – Acta universitatis Gothoburgensis, 2001.

 

À la recherche de l'œuf perdu
Les 16, 22 & 26 avril 2024 - 1h - 6-10 ans
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