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La chambre « natale » d'Henri IV

Comme la chambre dite de Jeanne d'Albret, cette pièce fut aménagée en « chambre natale » d'Henri IV sous la Monarchie de Juillet dans la suite des Appartements historiques. Il est probable que le futur roi de France et de Navarre n'y soit pas né en 1553 et que cet événement ait eu lieu au premier étage du château, dans l'actuel salon de famille. C'est entre 1845 et 1847 que le décor d'une « chambre natale d'Henri IV » fut ici recréé, après l’achèvement de la plupart des autres salles du palais, comme si cette reconstitution était le terme et le but ultime des rénovations entreprises par Louis-Philippe. Le décor est une exaltation des vertus du roi Bourbon et un écrin pour le berceau-carapace qui y trouva sa place définitive.

Le berceau légendaire du roi
La carapace-berceau est l'objet emblématique des collections du Musée national. C'est autour de lui et de sa conservation dans le lieu de naissance d'Henri de Navarre que furent pensées les restaurations du château menées sous Louis-Philippe. L’inventaire des richesses d’art et du mobilier de la maison d’Albret en 1561-1562 mentionne bien, au chapitre du cabinet de richesses et de curiosités, une carapace de tortue de mer. À partir du XVIIIe siècle, la précieuse relique fit l’objet d’un véritable culte, qui culmina dans les premières années de la Révolution : le 14 juillet 1790, la carapace-berceau tint ainsi une place éminente lors des  fêtes révolutionnaires de la Fédération. Et lorsque le 1er mai 1793, une carapace de tortue fut brûlée sur la place publique à Pau, sur ordre de représentants du comité de Salut public, l’objet original fut préservé grâce à une ingénieuse substitution. Soigneusement conservé pendant toute la période de la Révolution et de l’Empire, il fut solennellement rapporté au château en 1814, au retour des Bourbons.

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o_berceau_fleurs_de_lys.jpgo_berceau_casque.jpgLa présentation actuelle, très martiale, évoque le destin du roi guerrier. La carapace-berceau est posée sur une table recouverte de velours d’un bleu profond semé de fleurs de lys et portant un H entouré d’une couronne de lauriers, le tout brodé avec des fils d’or. Au-dessus, le décor est composé d’un faisceau de six lances de bois doré ornées de drapeaux aux armes de France et de Navarre, surmonté d’un casque empanaché de vingt-deux plumes d’autruche et encerclé d’une couronne de lauriers et d’une écharpe de soie blanche. C’est en 1822 que le berceau en a été doté. L’initiative en revint à un concierge du château, Alexandre Bossu, dont la présence est avérée entre 1816 et 1830. La carapace de tortue était en effet portée en procession dans les rues de Pau, chaque année, le 25 août, jour de la saint Louis. Le concierge du château de Pau se désola qu’un « monument aussi précieux pour tous les bons français » ne soit pas davantage mis en valeur pour cette occasion. Ses arguments portèrent : le Garde Meuble royal passa commande à plusieurs artisans pour la confection d’un décor dessiné par Louis-Jacques de La Haymade de Saint-Ange. La sculpture échut à Brion, la dorure à Pauwels, la broderie à Mlle Chalamel et le tapissier Lejeune fut chargé de la livraison de l'ensemble. À Pau, ce décor arriva juste à temps pour que le berceau, dans son nouvel apparat, puisse participer à la fameuse procession de la saint Louis en 1822. Après quoi, le caractère imposant et peu maniable du décor sédentarisa l’objet dans le château dont il ne sortit plus qu’une seule fois, en 1825, à l'occasion des cérémonies du couronnement du roi Charles X. Et c’est au sein d’une « chambre natale » reconstituée telle un écrin, qu’il constitue depuis des siècles le coeur et le clou de la visite du château. Objet de curiosité, vénérable relique, objet de musée... la carapace-berceau est tout cela à la fois et témoigne de la permanence de l’intérêt jamais démenti pour le règne et la personnalité d’Henri IV.

Un décor à la gloire d'Henri IV
 

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Mobilier et objets d’art concourent à la mise en valeur de cet objet-phare du château de Pau et à l’exaltation de la figure d’Henri IV : coffres et table de nuit de style Louis XII, bras de lumière de style Renaissance, étonnant lit néo-Renaissance, sculpté de soixante-quatre figures de rois et seigneurs et dont l’intérieur s’orne d’un coq gaulois. Ce lit a été acheté en 1835 à une marchande d’objets d’art pour le remeublement du château de Pau. Cette reconstitution d’un lit Renaissance enflamma les imaginations au XIXe siècle : on voulut y voir le lit d’agonie d’Henri IV ou encore le lit de sa maîtresse Gabrielle d’Estrées...

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La cheminée néo-Renaissance, dont un bandeau sculpté accueille en son centre la figure d'un nourrisson dormant dans une carapace de tortue, est surmontée d'une inscription à la gloire d’Henri IV. Cette dernière est l'oeuvre d'un érudit souletin du XVIIIe siècle, le chevalier Jean-Philippe de Béla (1703-1796). Après une carrière militaire remarquable, qui le fit combattre en Suède et en Pologne et où il créa le corps des Cantabres militaires, composé exclusivement de soldats basques, il se retira en Soule et mena des études historiques et littéraires (Histoire des Basques, Mémoires militaires). Son inscription témoigne de l’extraordinaire popularité du roi Bourbon dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

 

 

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HENRI . LE . GRAND . EST . NE . EN . CETTE . CHAMBRE
ENTRE . MINVIT . ET . VNE . HEVRE
LE . 13 . DECEMBRE . 1555 .
BAPTISE . PAR . LE . CARDINAL . D’ARMAGNAC
IL . EVT . LES . ROIS . DE . FRANCE . ET . DE . NAVARRE .
POVR . PARRAINS
ET . SELON . LA . TRADITION . VNE . ECAILLE .  DE . TORTVE
POVR . BERCEAV
EDVQVE . A . LA . VIE . RVDE . DE . LA . GVERRE
CONSTAMMENT . LE . PREMIER . A . LA . CHARGE
ET . LE . DERNIER .  A. LA . RETRAITE
VICTORIEVX . PAR . SON . COVRAGE . D’ENNEMIS . BIEN
SVPERIEVRS . EN . NOMBRE
IL . FVT . CEPENDANT . PLVS . GRAND . PAR . LA . BONTE
DE . SON . COEVR . POVR . SES . SVJETS
QVE . PAR . L’ECLAT . DE . SON . TRIOMPHE
SA . MORT . VIOLENTE . LE . 14 . MAI . 1610
RAVIT . A . LA . FRANCE . SES . DELICES
AVX . MONARQVES . DE . L’VNIVERS . LEVR . MODELE
ET . A . L’EVROPE . CELVI
QVI . EN . AVAIT . FAIT . VNE . MEME . FAMILLE


Mois grotesques ou arabesques


Mais ce sont une fois de plus les tapisseries qui retiennent l'attention par leurs tonalités rouges éclatantes et l'exubérance de leurs motifs. Sous la dénomination de Mois arabesques ou Mois grotesques, le Musée national du château de Pau conserve huit tapisseries appartenant à deux tentures consécutives tissées par la manufacture parisienne des Gobelins. Les quatre pièces qui ornent les murs de la « chambre natale » du futur Henri IV appartiennent à la première tenture dont les douze pièces correspondent aux mois de l'année, symbolisés par leur signe du zodiaque et une figure du panthéon gréco-romain. Les cartons de cette tenture, tissée en 1687-1688 pour Trianon, ont été réalisés par le peintre François Verdier (1651-1730) et reproduisent les motifs de la tenture originale (Italie, XVIe siècle), dont l’italien Giulio Romano (vers 1492-1546) avait dessiné les figures mythologiques, et qui fut détruite en 1797.

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Les grotesques (de l'italien grottesca, de grotta, grotte) qui donnent leur nom à ces tapisseries furent des motifs très prisés dans l'iconographie de la fin du XVe et du XVIe siècle, après la découverte d'importants vestiges romains, comme la fameuse Maison dorée de Néron. Ces éléments décoratifs d'une fantaisie débridée resteront en vogue jusqu'au XVIIIe siècle. Ils allient personnages fantastiques et animaux chimériques, motifs floraux ou architecturaux exubérants. Sur un fond d'un rouge éclatant, ils encadrent d'un désordre savant les grandes figures des dieux antiques qui forment le sujet central de chaque pièce : Junon (mois de janvier) ; Mercure (mois de juin) ; Jupiter (mois de juillet) ; Diane (mois de novembre).

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Dans cette chambre natale reconstituée, au décor hautement symbolique, la figure du roi des dieux, Jupiter, brandissant le foudre de la main gauche et flanqué de l'aigle, ne pouvait que trouver une place de choix : face à la carapace, légendaire berceau du futur roi de France et de Navarre.

 

 

 

La naissance d’Henri IV, récit officiel

Le récit de la naissance du futur Henri IV fut publié en 1605 dans sa Chronologie novenaire, par l’historiographe du roi, Pierre Victor de la Palme, dit Palma Cayet (v. 1525-1610), qui avait été son gouverneur et celui de Catherine de Bourbon. Il s’agit donc du récit officiel de cet événement.

La princesse Jeanne [...] se trouva enceinte ; et quand elle se sentit approcher de son terme et dans le neuvième mois, elle prend congé de son mari, qui lui voulut difficilement accorder. [...] M. de Vendôme (son époux) lui accorda de s’en aller en Béarn, où elle fut en quinze jours, traversant toute la France, depuis Compiègne en Picardie, d’où elle partit, jusqu’aux monts Pyrénées dans Pau, où était le roi Henri, son père. Cette princesse fit ce voyage sur le milieu de novembre, car elle ne demeura au plus que dix jours après son arrivée, qui fut le 4 décembre 1553, qu’elle mit au monde le roi très chrétien à présent régnant, par un très heureux enfantement.
Le roi son père était un peu malade, même la contagion courait en ce pays là ; mais la vue de sa bonne fille, comme il l’appelait d’ordinaire, lui rendit sa santé parfaite, et lui ôta toute appréhension et crainte du danger.
Ce fut durant ces dix jours à tâcher de voir ce testament par tous les moyens qu’il lui fut possible ; ce qu’elle obtint sans l’ouvrir. Il était dans une grosse boîte d’or, et dessus une grosse chaîne d’or qui aurait pu faire vingt-cinq ou trente tours autour du col. Elle la demanda ; il lui promit disant en langage béarnais : « Elle sera tienne, mais que tu m’aies montré ce que tu portes ; et afin que tu ne me fasses point une pleureuse ni un enfant rechigné, je te promets de te donner tout, pourvu qu’en enfantant tu chantes une chanson en béarnais, et [aus]si quand tu enfanteras je veux y être. » A cet effet, il commanda à un de ses valets de chambre nommé Cotin, vieux serviteur, qu’il la servît à la chambre, et, à l’heure où elle serait en travail d’enfant, qu’il vienne l’appeler à quelque heure qu’il soit, même au plus profond de son sommeil, ce qu’il lui demanda expressément.
Entre minuit et une heure, le treizième jour de décembre 1553, les douleurs pour enfanter prirent à la princesse. Au-dessus de sa chambre était celle du roi son père, qui, averti par Cotin, soudain descend. Elle, l’entendant, commence à chanter en musique ce motet en langue béarnaise : Nostre Donne deu cap deu Pon, ajuda mi en aquete houre (Notre dame du bout du Pont, aide moi en cette heure). Cette Notre Dame était une église de dévotion dédiée à la Sainte Vierge, laquelle était au bout du pont du Gave en allant vers Jurançon, à laquelle les femmes en travail d’enfant avaient coutume de se vouer, et en leur travail la réclamer ; dont elles étaient souverainement assistées, et délivrées heureusement. Aussi n’eût-elle pas plus tôt parachevé son motet, que naquit le prince qui commande aujourd’hui, par la grâce de Dieu, à la France et à la Navarre.
Étant délivrée, le roi mit la chaîne d’or au col de la princesse, et lui donna la boite d’or où était son testament, dont toutefois il emporta la clef, lui disant : « Voilà qui est à vous, ma fille, mais ceci est à moi », prenant l’enfant dans sa grande robe, sans attendre qu’il soit bonnement accommodé, et l’emporta en sa chambre.
Quand ladite princesse Jeanne naquit, les Espagnols firent un brocard sur sa naissance, et disaient : Milagro ! la vaca hizo une oveja. (Miracle ! La vache a eu une brebis."). C’était une allusion aux armes de Béarn, où il y a deux vaches encornées et clarinées d’or en champ de gueules. Ils appelaient aussi ordinairement ledit sieur roi Henri son père, el vaquero, pour la même raison. Mais ledit sieur roi tenant entre ses bras le prince, son petit fils, et le baisant d’affection, se remémorant des brocards espagnols, disait de joie à ceux qui le venaient congratuler d’un si heureux enfantement : Ahora, mire que aquesta oveja pario un leon. (Maintenant, voyez, cette brebis a accouché d'un lion)
Ainsi vint ce petit prince au monde, sans pleurer ni crier, et la première nourriture qu’il reçut fut de la main de son grand père, ledit sieur roi Henri, qui lui bailla une pilule de thériaque des gens du village, qui est une tête d’ail, dont il lui frotta ses petites lèvres, lesquelles il se fripa l’une contre l’autre comme pour sucer ; ce qu’ayant vu le roi, et prenant de là une bonne conjecture qu’il serait d’un bon naturel, il lui présenta du vin dans sa coupe ; à l’odeur ce petit prince branla la tête comme peut faire un enfant, et lors ledit sieur roi dit : Tu seras un vrai béarnais.