Trésors princiers
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Cette exposition porte sur les richesses d’art dont la maison d’Albret hérita de celle de Foix, avec la couronne royale de Navarre (1484) dépourvue cependant de la quasi-totalité de ce royaume ibérique. Dès 1464, en effet, Gaston IV de Foix-Béarn fixait à Pau « sa principale habitation ». À la tête de la dernière des principautés héritées du Moyen Âge, les maîtres des lieux enrichirent cet ensemble qui, au XVIe siècle, était conservé aux châteaux de Pau et de Nérac, leurs principales résidences, où il fit l’objet d’inventaires successifs. Celui de 1561-1562, qui compte plus de 1 300 numéros, montre que les collections du roi de Navarre rivalisaient en splendeur avec celles du roi de France.
Grands amateurs d’orfèvrerie, de bijoux et de livres, Henri d’Albret (1503-1555) et Marguerite d’Angoulême(1492-1549), soeur du roi François Ier, transmettent à leur fille Jeanne d’Albret (1528-1572) un patrimoine précieux dont celle-ci partage le goût avec son mari Antoine de Bourbon (1518-1562). Leurs enfants, Henri IV (1553-1610) et Catherine de Bourbon (1558-1604), seront à l’origine de la migration de nombreuses pièces de ce trésor dans les collections royales françaises et dans plusieurs grandes collections européennes au début du XVIIe siècle. Le transfert du cabinet de curiosités des rois de Navarre à Fontainebleau en 1602, pour remplacer celui des Valois disparu pendant les guerres de Religion, porta un coup décisif à la conservation de cet ensemble in situ.
L’objectif de cette exposition est, sinon la reconstitution impossible d’un héritage artistique, du moins la présentation de beaux objets précieux s’y rattachant : ainsi le vase «en caillou du gave» du Musée du Louvre, la cuillère d’agate à manche en forme de satyre d’argent doré du Musée national de la Renaissance (château d’Écouen), le camée représentant le Christ soutenu par un ange du Museo degli Argenti de Florence ou l’aiguière de cristal de roche du Musée du Louvre, présentés au château de Pau pour la première fois depuis le XVIe siècle.
Les pièces non retrouvées du cabinet des rois de Navarre seront évoquées par des oeuvres de qualité et de signalement très voisins qui, présentes dans d’autres collections princières (Lorraine, grand-duché de Toscane notamment), s’inscrivent dans la même démarche intellectuelle, artistique et politique, rivalisant souvent avec les grandes collections royales.
Cette exposition, ouverte au public pour le printemps et l’été 2017, est présentée dans la continuité de l’achèvement récent des travaux de restauration de la cour d’honneur du château de Pau ; elle accompagnera également l’ouverture de nouvelles restaurations portant sur les jardins et inspirées de leur état Renaissance.
Il s’agit donc d’un véritable projet palatial signant une phase importante de la remise en état du site.
Les oeuvres sont exposées dans les grandes salles du rez-de-chaussée (salle des Cent Couverts, salle des Officiers de service et anciennes cuisines) qui sont directement liées aux souvenirs historiques du monument à la période considérée.
Partenaire(s)
Cette exposition est organisée par la Réunion des musées nationaux-Grand Palais et le Musée national et domaine du château de Pau.
Elle bénéficie du soutien de la Fondation d'entreprise Total.
Commissaire(s)
Paul Mironneau, conservateur général du patrimoine, directeur du Musée national et domaine du château de Pau,
Isabelle Pébay-Clottes, conservateur en chef au Musée national et domaine du château de Pau,
Claude Menges-Mironneau, chargée de mission au Musée national et domaine du château de Pau et conservatrice des Antiquités et Objets d'art des Pyrénées-Atlantiques
Contact(s) presse
Presse nationale et internationale: Florence Le Moing et Mathilde Wadoux (Rmn-GP)
Presse régionale : Virginie Arbouin (Musée national et domaine du château de Pau)
En visite libre
Tous les jours de 13h à 18h
et de 10h à 12h pour les groupes ayant réservé.
(Fermée le 1er mai)
Tarifs: exposition seule 4,50€ ou billet jumelé (collections permanentes et exposition): PT 9€ - TR 7,50€ - Groupe 8€
En visite commentée avec une conférencière de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais
lundi 10 et mercredi 19 avril 2017 à 15h
lundi 24 avril 2017 à 14h15
mercredi 10 et lundi 22 mai 2017 à 15h
jeudi 8, mercredis 14 et 21 juin 2017 à 15h
jeudi 6 juillet 2017 à 15h
Durée: 1h
Tarif : 4,5 € plus tarif du droit d’entrée en cours
Renseignements et réservation au 05 59 82 38 02 ou par courriel : reservation.chateau-de-pau@culture.gouv.fr
La programmation culturelle autour de l'exposition
Les midis princiers
les mardis 11 et 25 avril, 9 et 23 mai, 13 et 27 juin 2017 - de 12h15 à 13h
45 minutes pour une découverte de l’exposition à l’heure du déjeuner les 2ème et 4ème mardis de chaque mois.Tarif : 4,5 € plus tarif du droit d’entrée en cours
Renseignements et réservation au 05 59 82 38 02 ou par courriel : reservation.chateau-de-pau@culture.gouv.fr
Les animations familiales autour de l’exposition
ou comment découvrir l’exposition en s’amusant.
Du 18 au 21 et du 24 au 28 avril 2017 à 14h30 pour les 6/10 ans et à 16h pour les 3/5 ans
Durée: 1h
Les enfants doivent être accompagnés d’au moins un adulte.
Tarif : enfants 3,50 € – adultes accompagnants : tarif du droit d’entrée en cours - Renseignements et réservation au 05 59 82 38 02 ou par courriel: reservation.chateau-de-pau@culture.gouv.fr
La journée d’étude
Arts précieux, arts princiers
Vendredi 12 mai 2017 de 9h30 à 12h30 et de 14h30 à 17h30
salle de conférences
A l’occasion de l’exposition, une journée d’études réunira des chercheurs européens sur la question des collections princières d’objets d’arts, du Moyen-Age au XVIIIe siècle et sur le rôle tenu par les arts dans les cours princières.
Accès libre et gratuit dans la limite des places disponibles.
Le concert
Camp du Drap d’Or – 1520
Une messe pour la Paix
mercredi 28 juin 2017 à 20h30
Cathédrale de Lescar par l’ensemble Doulce mémoire
Tarifs et informations pratiques sur www.chateau-pau.fr ou au 05 59 82 38 02
Le catalogue
Préfacé par Sophie Hubac, Présidente de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais
sommaire :
Essais
I. Les lignées françaises souveraines de la Navarre, Anne-Marie Cocula-Vaillières
II. De Gaston Fébus à Catherine de Foix. Princes ambitieux et connaisseurs (fin du XIVe-1517), Paul Mironneau
III. L’art délicat de l’inventaire à la cour de Navarre (1517-1601), Isabelle Pébay-Clottes
IV. Le goût des arts précieux à la cour de Pau-Nérac, Claude Menges-Mironneau
V. L’art de l’émail au temps de Jeanne d’Albret, Thierry Crépin-Leblond
VI. Somptuosité des tapisseries et des broderies des rois de Navarre, Jean Vittet
VII. Du trésor de Navarre aux collections royales françaises, Stéphane Castelluccio
auteurs :
Françoise Barbe (FB), conservateur en chef au département des Objets d’art du Musée du Louvre, Paris; Muriel Barbier, conservateur au Musée national de la Renaissance, château d’Écouen ; Stéphane Castelluccio, chargé de recherche au CNRS HDR Centre André Chastel UMR 8150 ; Anne-Marie Cocula- Vaillières, professeur honoraire d’histoire moderne Université Bordeaux-Montaigne ; Thierry Crépin- Leblond (TCL) conservateur général du patrimoine et directeur du Musée national de la Renaissance, château d’Écouen ; Jérôme Jambu, maître de conférences en détachement au département des Monnaies, Médailles et Antiques à la Bibliothèque nationale de France, Paris ; Claude Menges-Mironneau (CMM), conservateur des Antiquités et Objets d’art des Pyrénées-Atlantiques ; Paul Mironneau (PM), conservateur général du patrimoine et directeur du Musée national et domaine du château de Pau ; Isabelle Pébay-Clottes (IPC), conservateur en chef au Musée national et domaine du château de Pau, Marie-Hélène Tesnière (MHT), conservateur général des bibliothèques au département des Manuscrits à la Bibliothèque nationale de France, Paris ; Jean Vittet, conservateur en chef au château de Fontainebleau.
Quelques extraits du catalogue de l’exposition
Les lignées françaises souveraines de la Navarre
Au Moyen Âge, sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, la Navarre est la terre des « sociétés mêlées », celles des Maures, des Juifs, des Francos et, bien sûr, des Navarrais de souche. Autant de pratiques, de rites et de coutumes, autant d’influences culturelles dont tiennent compte ses souverains, rois et reines considérés à égalité puisque la loi salique de la France n’existe pas dans les États ibériques.
Mais d’autres occasions de rivalités dans la transmission de la couronne ont eu raison de la cohésion des familles régnantes. Elles s’aggravent dans la seconde moitié du XVe siècle au point d’attiser les convoitises des grands États voisins – la France, la Castille et l’Aragon – qui prennent fait et cause dans les troubles et les guerres de clans qui minent la Navarre et précipitent son démantèlement territorial.
[...]
Le 24 juillet 1512, les troupes de Ferdinand d’Aragon, le roi catholique, s’emparent de Pampelune à la suite d’événements qui sonnent le glas de l’indépendance de la Navarre et obligent ses souverains, Catherine de Foix et Jean d’Albret, à se réfugier en Béarn sous la protection de Louis XII, le roi de France. [...]
Face aux dangers, les rois de Navarre ont appris à conclure des alliances avec leurs puissants voisins en leur donnant leurs filles en mariage. De l’an mil jusqu’au XIIIe siècle, ils ont privilégié les unions avec des émirs ou des califes, puis, au fur et à mesure de la Reconquête, les princes chrétiens de Castille et d’Aragon ont eu leur préférence. Le tour des dynasties françaises vient aux XIIIe et XIVe siècles avec l’avantage de permettre au couple souverain de gouverner conjointement sur le trône de Navarre puisque les femmes ont la capacité de transmettre le pouvoir à leur époux ou à leur fils. Autant d’attraits pour de grandes maisons nobles de France, surtout dans le Midi où se distinguent la maison de Foix aux multiples branches et celle des Albret dont les possessions sont contiguës à la basse Navarre.
par Anne-Marie Cocula-Vaillières
De Gaston Fébus à Catherine de Foix
Princes ambitieux et connaisseurs (fin du XIVe siècle – 1517)
De dispendieuses ambitions
Les successeurs de Gaston Fébus en Foix-Béarn, Mathieu de Castelbon, mort en 1398, puis sa soeur Isabelle de Foix, mariée à Archambaud de Grailly, leur fils Jean Ier de Foix, Gaston IV de Foix, fils de Jean Ier, reprirent à leur compte le versant visible et somptueux de cette politique. L’inventaire des objets précieux dressé par Jean de Grailly au château de Pau en 1429 énumère, entre autres joyaux, parmi de nombreux reliquaires et des pierres taillées, « un bet miralh d’aur garnit de peyres et perles, d’un camahiu, de scarbous, de cristau, de personadges » qui pourrait correspondre au miroir d’or offert par la reine de France à Isabelle de Foix, ou encore « un gran dragier daurat ab las armes de France en tropes partz a l’entorn, lo diu d’amos dessus », autre preuve d’un goût éprouvé des beaux objets reflétant le jeu des alliances diplomatiques, et
notamment la protection maintenue par la maison de France sur celle de Foix-Béarn.
[...]
Trésor et bibliothèque
[...] Le climat intellectuel de la cour de Pau et de Nérac a partie liée avec cette conservation d’un patrimoine précieux. Ceci se vérifie tout particulièrement en ce qui concerne la bibliothèque transmise à Henri d’Albret et à sa soeur aînée, Anne (1492-1532), qui exerce les fonctions de lieutenant général. Cette confluence d’héritages de princesses lettrées s’agrège au noyau de Foix-Béarn par la réunion à la bibliothèque du château de Pau en 1502 des apports des « dames d’Albret », Anne d’Armagnac et Françoise de Blois- Bretagne (arrière-grand-mère et grand-mère d’Anne et Henri). Les inventaires datés de 1472 et 1481 font apparaître l’étendue de leurs curiosités, mêlant les textes pieux à l’histoire, aux chansons et à la musique, Anne d’Albret y ajoutant une intéressante composante géographique.
[...]
par Paul Mironneau
L’art délicat de l’inventaire à la cour de Navarre (1517-1601)
[...] En 1555, on trouve au château de Nérac des objets précieux dans « la chambre de la librairie » et surtout dans un « cabinet garnis de drap bleu ». L’inventaire de 1569 permet d’en préciser la topographie : la chambre de Jeanne d’Albret, située dans l’aile nord, au coeur du premier étage, est flanquée de trois cabinets. Le premier contient quantité de petits coffrets et objets, le second, quelques objets précieux et instruments
de musique, vingt-deux tableaux, des livres, des plans de fortifications et deux grandes généalogies, dont l’une « des princes et roys de Navarre ». Mais c’est à Pau qu’est conservé l’essentiel des trésors d’orfèvrerie des rois de Navarre, moins mobiles que leurs meubles pour d’évidentes raisons de sécurité. En 1517, ils se trouvent dans le « gabinet et oratoire » de Catherine de Navarre ; en 1535 dans le « cabinet du roi et de la
reine ». [...]
Entreposés dans l’un des cabinets ou des garde-meubles attenant, les objets du précieux cabinet des souverains de Navarre ne quittent, semble-t-il, le château de Pau qu’en cas de danger : ainsi en mars 1519, où orfèvrerie et joyaux sont confiés au capitaine d’Orthez « pour les mectre en seurté dedans le tresor du chasteau dud. Ortays », la ville étant plus éloignée que Pau de la frontière espagnole. Et à partir de 1570,
les richesses de la cour de Navarre quittent Nérac et Pau pour être resserrées à Navarrenx, la citadelle construite par Henri II d’Albret. Le cabinet des rois de Navarre y est encore en 1583, et n’en bougera sans doute pas, contrairement aux meubles et vêtements, jusqu’en 1602, date à laquelle Henri IV ordonne qu’il soit amené à la cour.
par Isabelle Pébay-Clottes
Le goût des arts précieux à la cour de Pau-Nérac
Impressionnés pour ne pas dire émerveillés devant les 1 361 articles défilant sous leurs yeux, les éditeurs scientifiques de l’inventaire (incomplet !) des meubles du château de Pau dressé en 1561-1562 par Antoine de Bourbon et Jeanne d’Albret n’hésitaient pas à déclarer en 1892 que cet ensemble, comparé au « trésor de Fontainebleau (…) ne le cède en rien en magnificence ». [...]
Les Albret, comme les Valois, ont réuni d’impressionnantes collections, riches d’orfèvrerie, de gemmes, de tapisseries, de curiosités, dans le petit et le monumental, le profane et le sacré. Ces collections illustrent avec exubérance la Renaissance française, ses héritages tardifs et le talent des orfèvres, des joailliers, des peintres, des graveurs et des dessinateurs. À travers les différents inventaires étudiés, les goûts artistiques de
cette cour peuvent être comparés à ceux des autres cours en France et en Europe. « Des pièces d’orfèvrerie religieuse et profane, des vases de pierre de couleur et de cristal de roche, des miroirs, des enseignes, des porcelaines […] » : numériquement, les collections du roi de Navarre dépassaient d’un tiers celles du roi de France, avec une prédilection, à la cour de Pau, pour les objets d’art, les curiosités, alors que la cour de
France préférait acquérir des tableaux et des sculptures, oeuvres plus remarquables. Les arts précieux sont à la fois conservatoire et tradition iconographique, concrétisant l’ingéniosité des orfèvres, des monteurs, des graveurs, des damasquineurs. L’accumulation de cette production artistique connue à travers les différents inventaires, depuis celui du cabinet de la reine Marguerite de Navarre à Pau en 1535 jusqu’au récolement effectué en 1613 des pièces retenues par Marie de Médicis en 1604, nous permet d’évoquer trois aspects liés principalement aux goûts princiers et aux aspirations de la cour de Navarre : l’Antiquité, la curiosité et enfin la dévotion, thèmes récurrents et significatifs de ces richesses.
par Claude Menges-Mironneau
Somptuosité des tapisseries et des broderies des rois de Navarre
[...] Comme dans le domaine des tapisseries historiées, les rois de Navarre ont possédé à la Renaissance un splendide ensemble de meubles brodés, qui justifierait une longue étude. L’état des oeuvres envoyées à Paris et Fontainebleau en 1602 sur l’ordre d’Henri IV complété d’un inventaire de Pau dressé en 1634, plus clairs que les documents antérieurs, permettent de préciser l’étendue des richesses navarraises dans ce domaine. Si l’on s’en tient aux meubles d’apparat, on dénombre dans les collections environ vingt-trois lits, dix-huit ciels, dix-neuf dais et onze tentures se combinant le cas échéant avec les éléments précédents. Nombre d’entre eux étaient brodés de devises latines dans l’esprit humaniste de l’époque. On est assez mal renseigné sur l’origine des oeuvres sauf lorsque les chiffres qu’ils portent peuvent nous mettre sur la piste de leur anciens propriétaires. C’est le cas, par exemple, de ces « deux tercellez [ou dais] de drap d’or raz sur velours viollet à grosses lectres de J. K. de broderie et coronnes […] », qui appartinrent donc à Jean d’Albret et Catherine de Foix. Sans porter de chiffres ou d’armoiries, deux lits de satin violet à bandes de toile d’or, brodés de la devise pleine d’espièglerie « Vive la Souris », avaient manifestement été commandés par Marguerite d’Angoulême . Un dais de drap d’or comportant les armes de Bourbon et d’Alençon associées provenait quant à lui des parents d’Antoine de Bourbon. Plusieurs ensembles importants, envoyés pour la plupart à Paris en 1602, avaient été brodés par Jeanne d’Albret elle-même, dont l’habileté dans ce domaine était incontestée. Il s’agissait notammentdu fameux meuble des Devises de Pau, de celui de la Devise du Rocher, du lit des Satyres et de la tenture des Prisons rompues, dont le contenu anticatholique est resté célèbre. Hélas, rien n’en subsiste aujourd’hui.
par Jean Vittet
Du trésor de Navarre aux collections royales françaises
Une fois la paix intérieure obtenue en 1598, Henri IV souhaita légitimer la nouvelle dynastie des Bourbons en se plaçant dans la continuité de celle des Valois, dont il occupa les résidences, le Louvre, Saint-Germain et Fontainebleau, qu’il fit agrandir de manière spectaculaire. Son mariage, le 17 décembre 1600, avec Marie de Médicis renforça aux yeux de l’Europe sa légitimité et la nouvelle dynastie avec la perspective de la naissance d’un dauphin. Pour affirmer cette dignité, Henri IV estima nécessaire de s’entourer des attributs jugés indispensables à tout intérieur royal. Or, depuis la Renaissance, tout grand prince se devait de collectionner pour exposer son statut social, son faste, son goût et sa culture. Henri IV souhaita recréer
un cabinet royal de curiosités après la disparition de celui des Valois lors des guerres de Religion. Réunir un nouvel ensemble aurait pris du temps, aussi Henri IV se tourna-t-il vers le trésor des rois de Navarre.
[...] Le 10 août 1602 [...] Henri IV ordonna le transfert à Pierre Du Pont qui, le mois suivant, fit vérifier pendant quatre jours et demi les objets du trésor de Navarre avant leur départ. Le 20 novembre 1602, dix coffres et deux caisses contenant des fontaines de vermeil arrivèrent à Fontainebleau où Pierre de Beringhen, premier valet de chambre du roi, les reçut et en donna décharge à Du Pont. Henri IV y résidait alors avec la Cour dans l’attente de l’accouchement de la reine et assista sans doute à l’arrivée des collections familiales. Il les disposa probablement dans l’ancien cabinet de François Ier, au quatrième étage du donjon, au-dessus de l’ancienne chambre du roi : les collections de Navarre devinrent alors celles du roi de France.
par Stéphane Castelluccio
Les textes dans les salles d'expositon
Une évocation du faste de la cour de Navarre à Pau et Nérac (fin du XVe-XVIe siècles)
En 1464, Gaston IV de Foix-Béarn fixait à Pau « sa principale habitation ».Vingt ans plus tard, sa petite-fille, la reine de Navarre Catherine de Foix épousait Jean d’Albret. Son royaume s’étendait de part et d’autre des Pyrénées et leur mariage permettait la constitution d’une importante principauté territoriale au sud du royaume de France... ainsi que la réunion d’un important ensemble de richesses d’art et de manuscrits à Pau et Nérac, leurs résidences préférées. Chassés de leur royaume ibérique et repliés sur leurs territoires en deçà des Pyrénées à partir de 1512, les souverains de Navarre n’en poursuivirent pas moins leur politique d’enrichissement de ces collections. Celles-ci nous sont connues par les inventaires successifs qui en furent dressés jusqu’en 1601.
Grands amateurs d’orfèvrerie, de bijoux et de livres, Henri d’Albret (1503-1555) et Marguerite d’Angoulême (1492-1549), soeur du roi François Ier, transmirent à leur fille Jeanne d’Albret (1528-1572) un patrimoine précieux dont celle-ci partageait le goût avec son mari Antoine de Bourbon (1518-1562). Leurs enfants, Henri IV (1553-1610) et Catherine de Bourbon (1559-1604), seront àl’origine de la migration de nombreuses pièces de ce trésor dans les collections royales françaises etdans plusieurs grandes collections européennes au début du XVIIe siècle. En décidant du transfert du « cabinet des rois de Navarre » à Fontainebleau en 1602, pour remplacer celui des Valois, disparu pendant les guerres de Religion, Henri IV porta un coup décisif à la conservation de cet ensemble en Béarn. En 1604, le roi permettait à son épouse Marie de Médicis de prélever plusieurs dizaines de pièces « parmi les plus belles, rares et excellentes d’entre celles qui étaient dans son cabinet et coffres amenés de Pau » pour orner ses appartements du Louvre. La mort de la souveraine en exil à Cologne en 1642 acheva de disperser les vestiges de ce prestigieux ensemble dont seules quelques rares pièces se retrouveront dans les collections royales françaises.
L’objectif de l’exposition est, sinon la reconstitution impossible de ce fabuleux « cabinet » disparu, du moins la présentation de beaux objets précieux s’y rattachant : ainsi le vase « en caillou du gave » du Musée du Louvre, la cuillère d’agate à manche en forme de satyre du Musée national de la Renaissance (château d’Écouen), le camée représentant le Christ soutenu par un ange du Tesoro dei Granduchi de Florence, l’aiguière ou coquemar en cristal de roche du Musée du Louvre ou le Chansonnier occitan C. Autant d’objets d’une rare préciosité de nouveau rassemblés au château de Pau pour la première fois depuis le XVIe siècle et dont l’appartenance avérée au « cabinet des rois de Navarre » à Pau est signalée dans l’exposition par la lettre initiale ornée de l’inventaire de 1561-1562.
Les nombreuses pièces non retrouvées du cabinet des rois de Navarre sont quant à elles évoquées par des oeuvres de signalement voisin d’une exceptionnelle qualité, qui, présentes dans d’autres collections princières au XVIe siècle, s’inscrivent dans la même démarche intellectuelle, artistique et politique : camées des collections du grand duc de Toscane, coffret orné de nacre et de pierreries provenant du trésor de la cathédrale de Mantoue ou gracieux Tireur d’épine de bronze commandé par Isabelle d’Este.
Les maîtres des lieux
Lorsque le 24 juillet 1512, les troupes de Ferdinand d’Aragon s’emparent de Pampelune, cet événement militaire signe la fin de l’indépendance de la Navarre et force ses souverains, Catherine de Foix et Jean d’Albret, à se réfugier de l’autre côté des Pyrénées, dans leurs terres de Béarn et d’Albret. Malgré d’intenses efforts, militaires comme diplomatiques, ni le couple royal déchu de ses droits ni ses successeurs ne pourront recouvrer le royaume perdu, n’en conservant que la Basse Navarre et d’illusoires projets de reconquête. Les prestigieuses alliances matrimoniales qu’ils
négocient habilement tout au long du XVIe siècle contribuent à les lier étroitement à la monarchie française. Ils en espèrent un soutien actif dans leurs revendications territoriales, mais les dissensions religieuses qui les opposent à leurs parents Valois au temps des guerres de Religion achèvent de ruiner tout espoir de reprendre la Navarre perdue. Dans les châteaux de Pau ou de Nérac qu’ils transforment somptueusement, les souverains
entretiennent une cour brillante, animée par des princesses humanistes et lettrées : Marguerite d’Angoulême-Navarre, soeur de François Ier et épouse d’Henri II d’Albret, leur fille Jeanne d’Albret , Marguerite de Valois, première épouse d’Henri IV, et Catherine de Bourbon, soeur unique de ce roi. Marguerite de Valois, fille du roi Henri II et de Catherine de Médicis, se souviendra avec nostalgie de son séjour à Nérac à la fin des années 1570 : « Notre cour était si belle et si plaisante que nous n’envions point celle de France » écrit-elle dans ses Mémoires. Pendant tout le XVIe siècle,
rois, reines et princesses de Navarre jouent un rôle de tout premier plan dans l’histoire politique, intellectuelle et religieuse du royaume de France, jusqu’à ce que l’avènement le 2 août 1589, d’Henri III de Navarre au trône de France, réunisse les deux couronnes dans une même titulature : « roi de France et de Navarre ».
Les nombreux portraits parvenus jusqu’à nous portent témoignage des traits des maîtres des lieux, comme de leur goût pour les vêtements somptueux et les riches parures. La duchesse de Nemours ne notait-elle pas, un mois à peine avant la mort, de Jeanne d’Albret, que la reine de Navarre portait « encore plus de perles qu’autrefois ». Portraits peints, dessinés, imprimés, coulés ou frappés dans le métal des monnaies, médailles et jetons, modelés dans la cire ou figés dans l’émail composent une manière de galerie, en un lointain écho du cabinet des peintures que Jeanne d’Albret possédait au château de Pau au milieu du XVIe siècle et dont les murs s’ornaient aussi de dix-sept « painctures d’esmail » (inventaire de 1561-1562). Plusieurs dizaines d’autres pièces émaillées figuraient par ailleurs dans les collections d’objets précieux de la reine de Navarre : portraits, petits coffrets et plaques à sujets religieux. Au XVIe siècle, l’art de l’émail connaît une période florissante. Il est particulièrement apprécié des riches amateurs, laïcs ou religieux. Or, le principal centre de production d’émaux se trouve alors à Limoges, dont les vicomtes ne sont autres que les souverains de Navarre depuis la fin du XVe siècle.
À Pau et Nérac, un somptueux décor tissé
À la fin du XVe siècle et dans la première moitié du XVIe, d’ambitieux travaux transforment radicalement les principaux châteaux des Foix-Béarn. À Nérac, ils sont initiés par Alain d’Albret, dit Alain le Grand à partir des années 1480 et se poursuivent sous le règne de son petit-fils Henri d’Albret. Seule en témoigne encore aujourd’hui l’aile Nord du château, avec sa galerie-coursive aux élégantes colonnettes torsadées. À Pau, dans les années 1530, c’est un véritable vent de la Renaissance qui souffle sur le vieux château, avec en particulier la création d’une cour d’honneur, la construction
d’un grand escalier droit rampe sur rampe, l’élévation d’un balcon au premier étage. A Nérac comme à Pau, cette métamorphose architecturale s’accompagne de l’embellissement du domaine royal : parc, garenne, jardins sont l’objet de tous les soins des souverains successifs, d’Henri d’Albret à Henri de Navarre et à sa soeur, Catherine de Bourbon. En 1598, un voyageur rochelais, Jacques Esprinchard, décrira les jardins du château de Pau comme « les plus beaux qu’il ait vus en Europe ».
Si le décor intérieur des palais est moins bien connu, on sait qu’y existait un somptueux appareil textile, aujourd’hui entièrement disparu. Tapisseries de haute lisse provenant des ateliers de Tournai, somptueuses pièces de broderie, souvent rehaussées de fils précieux, draps d’or ou d’argent, dais, ciels, pavillons grands ou petits, carreaux ou rideaux recouvraient murs de pierre et meubles de bois du palais de teintes chatoyantes : vert, cramoisi, blanc, noir, violet, jaune, or et argent. Ces pièces textiles voyageaient de Pau à Nérac et de Nérac à Pau, au gré des séjours des souverains. Les inventaires dressés à cette occasion et les dépenses qu’occasionnait leur entretien témoignent du soin porté à leur conservation. Comme le cabinet d’orfèvrerie, les tapisseries et broderies les plus précieuses furent resserrées dans la citadelle de Navarrenx en temps de troubles, puis transférées en grande partie à la cour de France en 1602 à la demande d’Henri IV.
Des pièces d’orfèvrerie religieuse et profane, des vases de pierre de couleur et de cristal de roche…
Contemporain de l’inventaire des richesses d’art de la cour des Valois, celui dressé en 1561 à Pau pour le roi et la reine de Navarre, Antoine de Bourbon et Jeanne d’Albret, constitue un témoignage exceptionnel. Le tout se répartit en 1361 articles reflétant le goût des arts ornementaux et des arts précieux, arts de cour par excellence. Numériquement, les collections du roi de Navarre dépassaient d’un tiers celles du roi de France, avec une prédilection, à la cour de Pau, pour les objets d’art, les curiosités, là où la cour de France préférait acquérir des tableaux et des sculptures.
L’exposition présente quelques beaux reflets d’un goût affirmé pour l’antique. L’agate en deux nuances (blanc et brun rougeâtre) portant une tête de maure peut être rapprochée de celles inscrites dans l’inventaire de 1561-1562. On retrouvera aussi Cléopâtre, Hercule et Vénus, similaires aux pièces exposées provenant de la collection des grands-ducs de Toscane. Ces fragments sont généralement montés en bijou. L’or émaillé, l’incrustation ou commesso, comme dans la remarquable Julie en Cérès, complètent somptueusement ces diverses pierres et font apparaître de véritables objets d’art précieux.
Viennent ensuite les grandes pièces d’orfèvrerie. Le coquemar de cristal du musée du Louvre aux armes de Marie de Luxembourg, la splendide aiguière conservée au Musée du Prado (non exposée) décrits dans l’inventaire de 1561-1562, où les artistes orfèvres ont recherché les références antiques (formes et iconographie). Les objets en pierre du ferrarais Benedict Ramel s’emparent avec force du répertoire mythologique. Dans le vase exécuté sans doute à Pau au début du XVIe siècle, le décor exprime en un triomphe marin la glorification des princes de la maison d’Albret-Bourbon à travers la pierre originale dite du gave de Pau.
Du petit objet délicat, l’orfèvre tire un parti ambitieux. Le vase en prisme d’émeraude revêtu de sa résille d’or et orné d’une tête de Méduse aujourd’hui conservé au Musée du Prado témoigne de cette attirance indéniable des rois de Navarre pour l’Antiquité. La préciosité se glisse aussi dans l’apparence factice de l’usuel, comme avec la cuillère en agate au manche en forme de satyre dont la présence est attestée à Pau au XVIe siècle. La parure princière offre un territoire d’expérimentation et de créativité immense : tête de martre en cristal de roche de réalisation italienne, pomme de senteur de travail allemand, flacon à eaux de senteur de création française, etc.
Les inventaires font revivre quantité d’objets curieux, exotiques, démesurés ; l’exotisme y apparaît dans la surcharge du décor , mais aussi dans la présence d’objets étonnants et insolites, constitutifs d’un cabinet de curiosité. Parmi ces curiosa, « une escaille de tortue » allait être promise à un avenir exceptionnel, devenant dans la mémoire nationale le berceau du jeune Henri de Navarre. Les mêmes inventaires renseignent aussi sur l’abondance et la variété de l’élément religieux. La tentation du luxe qui s’affirme dans un coffret rappelant celui conservé au musée diocésain de
Mantoue exécuté par Pierre Mangot vers 1533-1534, d’emploi profane mais sans doute destiné à un prince de l’Église, se confronte à l’objet le plus brut, comme les chapelets de châtaignes de mer.
Avec le camée au Christ soutenu par un ange, ouvrage parisien de 1400 environ, subsistant d’une composition beaucoup plus importante, la collection compte des oeuvres de la plus haute qualité esthétique. Tel était aussi le cas d’un dizain dont la description rappelle celui conservé au musée du Louvre , d’agate et d’émail en ronde bosse d’or enrichi de scènes de la vie du Christ.
De précieux manuscrits
Indissociable d’un contexte politique très ambitieux, le climat intellectuel de la cour de Pau et de Nérac associe étroitement au cabinet d’objets précieux la conservation d’une riche bibliothèque, où les beaux manuscrits enluminés se trouvent en grand nombre. Le soin apporté aux reliures, comme celle de velours bleu sur ais de bois munie d’équerres et boulons de cuivre doré remontant au XVe siècle dont sont encore revêtues les Chroniques de Burgos, signale cette proximité.
Les accroissements se font notamment par héritages successifs. De beaux vestiges de la bibliothèque de Gaston Fébus sont encore identifiables. Souvent, ils sont passés entre les mains de Jean de Grailly, qui, au début du XVe siècle, y fit tracer son ex-libris : J’ay belle dame. Bibliophile averti, Jeande Grailly acquit sans doute à Paris les Chroniques de Burgos récemment traduites en français par Jean Golein, dont l’illustration et l’ornementation sont dues aux ateliers parisiens de la première décennie du XVe siècle.
S’agrégeant au noyau de Foix-Béarn, la part revenant à des princesses lettrées semble particulièrement remarquable. Henri d’Albret et sa soeur aînée, Anne (1492-1532) reçoivent un ensemble de livres manuscrits issu de l’addition des apports des « dames d’Albret », Anne d’Armagnac
et Françoise de Blois-Bretagne (arrière-grand-mère et grand-mère d’Anne et Henri). Le tout sera réuni à la bibliothèque du château de Pau en 1502. Les inventaires de ces princesses, datés de 1473 pour la première et 1481 pour la seconde, font apparaître l’étendue de leurs curiosités, mêlant les textes pieux à l’histoire, aux chansons et à la musique. On y trouve un exemplaire élégant de la traduction du De Casibus virorum illustrium de Boccace par Laurent de Premierfait (Le livre des cas des nobles hommes et femmes exécuté vers le milieu ou durant le 3e quart du XVe siècle, avec 171 miniatures d’un artiste français.
La bibliothèque décrite dans les inventaires dressés sous Henri d’Albret en 1520 et 1533 se composait d’une quarantaine de ces beaux volumes ; elle était bien pourvue d’ouvrages historiques ou moraux, mais se distinguait aussi par sa valeur littéraire. Le chansonnier occitan C, l’un des piliers de notre connaissance de l’art des troubadours est pris en compte dans ces deux documents. Parmi les livres d’Anne d’Albret et de Françoise de Blois, on signale en 1473 « un livre en parchemin, parlant d’amour et de chansons ».
Avec la personnalité de premier plan qu’est Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre de 1527 à 1549, la bibliothèque des rois de Navarre connaît une nouvelle forme de rayonnement intellectuel et s’ouvre largement aux productions imprimées. « Dans ma montagne, j’ay appris à vivre plus de
papier que d’aultre chose » constate simplement la soeur de François Ier. À la fin de son règne, sa « chambre de la librairie » et son cabinet d’étude rassemblent environ 300 volumes.
La carapace de tortue de mer, berceau légendaire d’Henri IV
Parmi les milliers d’objets précieux décrits dans l’inventaire du «cabinet» des rois de Navarre dressé au château de Pau en 1561-1562, figure au numéro 1343, entre une aiguière d’émail blanc et une salière, «une escaille de tortue». La présence d’un tel objet pourrait surprendre, si l’on ne
connaissait le goût des hommes et femmes de la Renaissance pour les curiosa, ces curiosités naturelles, le plus souvent insérées dans des montures d’orfèvrerie, qui permettaient d’associer en un même objet l’ingéniosité de la nature au savoir-faire humain. Le même inventaire signale ainsi des «morceaux de licorne» (corne de narval ?), cinq noix d’Inde transformées en gobelets par une monture d’argent doré, trois oeufs d’autruche montés en flacons ou encore des châtaignes de merréunies en un chapelet.
La carapace de tortue, qui ne présentait aucun décor précieux, ne fit pas partie des pièces du cabinet de rois de Navarre qui furent, sur ordre d’Henri IV, amenés de Navarrenx à Fontainebleau en 1602. Elle dut rester dans le «cabinet de derrière et de la galerie», petite pièce ornée d’une
cinquantaine de tableaux, où elle se trouvait au milieu du XVIe siècle. C’est à partir du milieu du XVIIIe siècle que la carapace de tortue conservée au château de Paudevint l’objet d’une véritable vénération en Béarn, comme berceau du petit prince de Navarre, futur Henri IV.