La salle aux cent couverts
La salle aux cent couverts est à juste titre l'une des plus réputées du monument. Impressionnante par ses dimensions, son riche décor de tapisseries et son immense table, cette pièce, située au rez-de-chaussée du château, est aussi fortement marquée par l’Histoire. Au temps des rois de Navarre, la grande salle basse du château était la salle des gardes. En 1620, le 19 octobre, lors d'une séance solennelle des États de Béarn, le roi Louis XIII y jura de respecter les fors et coutumes du Béarn. Le roi était seul assis face à une assistance debout, entouré du duc de Luynes et du garde des sceaux. Les conseillers à leur tour lui jurèrent fidélité et aux cris de « Vive le roi ! », la séance fut levée. Le lendemain, après plusieurs cérémonies religieuses qui réaffirmaient le rétablissement de la religion catholique à Pau, fut enregistré l'édit portant réunion de la Navarre et du Béarn à la France. C'en était fini de l'indépendance de la vicomté de Béarn que Gaston Fébus avait habilement instaurée au XIVe siècle. La dénomination « salle des Etats » qui est parfois accolée à cette salle vient de cet événement marquant de l'histoire du château, du Béarn et de la France.
Le nom de salle aux cent couverts qui est aujourd'hui donné à cette pièce ne date en réalité que de la seconde moitié du XXe siècle. Il fait référence aux réceptions qui s'y déroulèrent au XIXe siècle et plus particulièrement au banquet offert à cent convives par le duc de Montpensier, fils de Louis-Philippe, lorsqu'il vint à Pau pour l'inauguration de la statue d'Henri IV place royale, le 27 août 1843. Lors des restaurations du château sous la Monarchie de Juillet, la salle basse fut aménagée en grande salle à manger d'apparat et le mobilier atteste de cet usage. Les deux cheminées qui chauffaient encore ce vaste espace après la Révolution et l'Empire ont aujourd'hui disparu. Côté Ouest, une porte fut percée pour permettre le passage vers la petite salle à manger, dite aussi salle des officiers de service.
C’est depuis 1860 qu’une imposante statue d’Henri IV en pied orne cette salle à manger d’apparat. En marbre de Carrare, elle est l’œuvre du sculpteur Pierre de Franqueville (1548-1615), artiste originaire de Cambrai qui fit une belle carrière à Florence avant d’être appelé à Paris par Henri IV, sans doute sous l’influence de Marie de Médicis. La statue lui fut commandée en 1605. Elle fut placée au palais du Louvre, puis rejoignit le musée des Monuments français créé par Alexandre Lenoir en 1795. En 1819, le roi Louis XVIII, voulant honorer la mémoire de son ancêtre Bourbon, envoya cette statue à Pau pour la cour d’honneur où l’on projetait des restaurations. Après avoir occupé plusieurs emplacements successifs, c’est sous le Second Empire qu’elle fut installée dans la salle à manger, dans une niche dont l’encadrement de pierre est sculpté d’un décor d’arabesques et grotesques, à l’emplacement de l’une des cheminées. Henri IV est représenté en triomphateur à l’antique, la tête ceinte d’une couronne de lauriers. En armure, les épaules couvertes du manteau fleurdelisé, portant les ordres royaux et tenant le bâton de commandement, le roi foule aux pieds les dépouilles de ses ennemis (gantelets, armes brisées). Le caractère monumental de la sculpture n’exclut pas une belle finesse d’exécution et un grand réalisme dans le portrait royal. Alexandre Lenoir avait assisté à l’exhumation des dépouilles des souverains à la basilique Saint-Denis en octobre 1793, contemplé et dessiné le visage embaumé d’Henri IV. Il écrivit : « Cette statue est l’une des plus vraies, pour la ressemblance, qui ait été faite d’après ce prince ».
La salle est dominée par la présence de la table centrale. Elle fut envoyée à Pau en 1842 avec ses 80 chaises de chêne tourné estampillées Jeanselme. Ce beau meuble ne porte aucune marque d'ébéniste, mais témoigne d’un travail soigné et d’une grande ingéniosité. La table est constituée d'une vingtaine de larges panneaux de sapin ceinturés de chêne. S’emboîtant les uns dans les autres, ils forment un vaste plateau qui repose sur douze tréteaux, supportant eux-mêmes des longues barres de bois – on parle de « sommiers ». Le tout permet une impeccable assise malgré la taille de la table : environ 17 mètres de longueur). Surtout, inspirée de celles qui étaient dressées pour les banquets au Moyen Âge et à la Renaissance, la table est entièrement démontable. Et en un quart d’heure seulement pour les équipes aguerries du musée !
Un somptueux ensemble de onze pièces de tapisseries provenant de la Manufacture royale des Gobelins orne les murs de la salle aux cent couverts. Les quatre pièces centrales appartiennent à la tenture des Mois Lucas et les sept autres à celle des Chasses de Maximilien. Toutes furent envoyées à Pau en 1842 pour la grande salle à manger. Par leurs tons de vert et les ambiances de sous-bois qui s'en dégagent, elles viennent prolonger le spectacle offert par les coteaux voisins, sur lesquels s'ouvrent de vastes baies.
La tenture des Mois Lucas, dont dix pièces sur douze sont conservées au musée national, a été tissée en 1688-1689 à la manufacture des Gobelins pour le roi Louis XIV. Les lissiers prirent pour modèle une tenture flamande à or du XVIe siècle qui appartenait aux collections royales. Ils exécutèrent les tissages en contrepartie, c’est-à-dire en inversant le sens de chaque scène. Cet ensemble prestigieux a été détruit en 1797 pour en récupérer le métal précieux et n’est plus connu que par les retissages des Gobelins. La tenture initiale, portant aussi le nom de Douze Mois originaux ou Douze mois de la Couronne, fut longtemps attribuée au peintre flamand Lucas de Leyde (1494-1553), d’où la dénomination traditionnelle de Mois Lucas. Cette identification a depuis été remise en question. Il est probable que la conception des pièces soit l’œuvre de plusieurs artistes réunis sous l’autorité d’un artiste anonyme, le « maître des Mois Lucas », certainement un peintre de l’entourage de Bernard Van Orley (1488-1541).
Chaque mois de l’année est illustré par le signe du zodiaque et des scènes, essentiellement d’extérieur, où paysans et nobles personnages se livrent à des activités en rapport avec la saison. On peut admirer ici le mois de juin (La tonte des moutons) associé à celui de novembre (Les semailles) et le mois de septembre (Le bât-l’eau du cerf) associé à celui de décembre (Le patinage).
Les autres pièces appartiennent à la tenture des Chasses de Maximilien tissée par les Gobelins pour Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin, duc d’Antin, directeur des bâtiments royaux de Louis XV. Il s’agit, comme pour les Mois Lucas, d’un retissage d’après un original flamand, fort heureusement encore conservé (Musée du Louvre), exceptionnelle tenture de tapisserie à or en douze pièces, exécutée à Bruxelles entre 1531 et 1535, où chaque mois de l’année est illustré par un épisode de chasse. Les modèles sont attribués à Bernard Van Orley (1488-1541), peintre de la cour de Marguerite d’Autriche, et Jean Tons fils pour les animaux et la végétation. Les scènes, très dynamiques, se déploient dans les paysages fidèlement représentés de la forêt de Soignes près de Bruxelles, domaine de chasse de la maison d’Autriche. L’on reconnaît d’ailleurs l’empereur Charles Quint dans l’un des deux personnages conversant avec animation derrière la table dressée au cœur de la forêt sur la grande pièce du mois d’octobre (Le repas de la chasse). Par contre, il n’existe aucune certitude quant à l’identité des prestigieux commanditaires de cet ensemble fameux. Connue sous le nom de Chasses de Maximilien ou Belles chasses de Guise, la tenture passa des collections de cette illustre famille, chez qui elle est attestée au XVIe siècle, à celles du cardinal Mazarin, puis de Louis XIV. À partir de 1685, huit tentures furent exécutées par les Gobelins d’après cet original flamand. Celle qui est présentée à Pau est la septième. Elle a été tissée, en six pièces seulement, pour le duc d’Antin vers 1720. Elle porte une bordure à ses armes et son chiffre (LAG), spécialement créée par Jean-Baptiste Blain de Fontenay. À leur arrivée à Pau sous la Monarchie de Juillet, certaines pièces ont été transformées pour pouvoir être accrochées sur les pans de murs auxquelles elles étaient destinées : ainsi les mois de juin (La curée) et d’août (Le limier) ont été coupés chacun en deux pièces. Toutes les pièces de la tenture sont conservées au musée national. Seul le mois de juillet (Le rapport) se trouve en réserve. Quant au mois de septembre (Le bât-l’eau du cerf), il est fragmentaire, une partie ayant été accidentellement brûlée au XIXe siècle, lors du séjour de la duchesse d’Hamilton au palais de Pau.