La chambre de Jeanne d'Albret
Une éminente figure politique et religieuse du XVIe siècle
Jeanne d'Albret (1528-1572) princesse puis reine de Navarre est la fille unique et héritière de Marguerite d'Angoulême, sœur de François 1er, et de son second mari, Henri d'Albret, roi de Navarre. Elle devient reine de Navarre et dame souveraine de Béarn à la mort de son père en 1555. Depuis 1548, Jeanne d'Albret est l'épouse d'Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, premier prince du sang, que le roi Henri II nomme gouverneur et amiral de Guyenne. Ce mariage très politique se révèle heureux dans un premier temps, mais va se heurter aux dissensions religieuses : élevés dans la religion catholique, les époux montrent tous deux de l'intérêt pour les idées de la Réforme. Antoine de Bourbon restera fidèle au catholicisme, alors que son propre frère Louis de Condé devient l'un des chefs des protestants et que Jeanne abjure le catholicisme le jour de Noël 1560 à Pau. Antoine de Bourbon rompt complètement avec son épouse en 1562 et, alors qu'il commande l'armée royale, il meurt la même année d'une blessure reçue au siège de Rouen. Jeanne d'Albret prend la tête du parti protestant en France. Après avoir tenté d'accorder à ses sujets de Béarn une sorte de liberté de conscience religieuse en 1564, elle y interdit complètement le culte catholique en 1571 et fait confisquer les biens des établissements catholiques. En 1572, Jeanne d'Albret se rend à Paris pour négocier avec la reine douairière Catherine de Médicis, les termes du mariage de son fils Henri avec la princesse Marguerite de Valois. Ce mariage, auquel la reine de Navarre n'a consenti qu'avec réticence, semble un gage de paix pour réconcilier les deux partis religieux. On sait ce qu'il en advint : la Saint-Barthélemy (24 août 1572) suit presque immédiatement les noces du jeune roi de Navarre et de Marguerite de Valois. Jeanne d'Albret ne devait pas voir se concrétiser ses pires craintes : elle meurt à Paris le 9 juin, quelques semaines avant ces noces de sang. De son union avec Antoine de Bourbon survivent deux enfants, Henri, né en 1553, qui accède au trône de Navarre à la mort de sa mère puis au trône de France en 1589, et Catherine de Bourbon, née en 1559.
Hommage à la mère du roi
Jeanne d’Albret n’occupa jamais cette chambre entièrement recréée sous la Monarchie de Juillet. Le mobilier de style médiéval ou Renaissance et la parure de tapisseries composent toutefois une évocation poétique, à défaut d'être véridique, de l'ancien palais des rois de Navarre. L'attention du visiteur y est d'emblée attirée par le lit étonnant qui occupe l'espace. Il présente bien des caractéristiques du meuble Renaissance : c'est un lit haut par rapport au sol, d'une longueur réduite, au riche décor sculpté et entièrement clos de rideaux, - ici de damas cramoisi à décor de guirlandes, roses et palmettes – qui en font une chambre en miniature. Mais on repérera aussi quelques archaïsmes, comme la large arcade de style gothique qui s'ouvre à l'arrière du lit pour permettre d'y accéder par un petit marche-pied dérobé aux regards. Bien que portant la date de 1562 et qu'une vache, symbole du Béarn, soit sculptée dans un cartouche en façade, ce meuble n'est pas une création contemporaine de Jeanne d'Albret, mais un habile remontage au XIXe siècle d'éléments plus anciens. Le guerrier endormi et le hibou, symboles de la nuit et du sommeil, les caryatides – saint Jean-Baptiste et la Vierge à l'enfant – sont ainsi de précieux remplois. L'ensemble mobilier est complété par deux coffres néo-gothiques achetés en vente publique pour le château de Pau en 1846, ainsi que des sièges de style Louis XIII recouverts d'une moquette veloutée et une table de toilette à pieds tournés et dessus de marbre. L'éclairage de la chambre est assuré par un précieux lustre à pendeloques de cristal de roche qui date du XVIIIe siècle.
Une riche parure de tapisseries
Le charme de cette chambre tient beaucoup aux six tapisseries de lisse recouvrant tous les murs qui constituent un somptueux écrin de laine, de soie et d'or mettant en valeur le mobilier. Elles furent presque toutes envoyées en 1849 pour cette salle dont le décor n’était donc pas achevé à la chute de la Monarchie de Juillet. De ces pièces qui appartiennent à des tentures différentes, d'inspirations et de styles divers, émane une impression de richesse et d'harmonie, donnée par la profondeur des coloris, la brillance des ors et la texture si particulière de la tapisserie.
Les deux pièces de grand format appartiennent à la tenture de La Galerie de Saint-Cloud. Elles représentent des saisons, symbolisées par des scènes mythologiques.
Pour Le Printemps, c'est la célébration des noces de Flore, déesse des jardins et des fleurs, avec Zéphyr, le doux vent d'ouest, qui donneront naissance... au Printemps. Cette scène est une exaltation de la jeunesse et des sens, par sa profusion de couleurs et sa belle sensualité.
Pour L'Hiver, c'est Cybèle qui implore le retour du Soleil et du Printemps,. La tapisserie est particulièrement évocatrice des frimas de la mauvaise saison avec ses tonalités brunes et la représentation de Saturne, entouré des vents mauvais, soufflant une bise glacée au-dessus de flots déchaînés.
La tenture de La Galerie de Saint-Cloud, en six pièces, témoigne d'un grand décor peint aujourd'hui disparu, exécuté par Pierre Mignard (1612-1695) au château de Saint-Cloud, propriété du frère de Louis XIV, en 1677-1678. Lorsque le ministre Louvois commanda au peintre de nouveaux modèles pour la Manufacture des Gobelins, Mignard proposa les scènes qu'il avait conçues pour la galerie de ce château. Il retoucha lui-même les cartons peints par les peintres attachés à la manufacture, Jean-Baptiste Monnoyer et Bourguignon. Six tentures furent successivement tissées entre 1686 et 1741. Les deux pièces envoyées au château de Pau appartiennent à la quatrième tenture qui fut achevée en 1722, sous la Régence. Contrairement aux premiers tissages qui attirèrent les foudres de Madame de Maintenon, aucun voile de pudeur n'a été rajouté sur la tapisserie du Printemps pour cacher la splendide nudité de Flore. Ces pièces sont pourvues de remarquables bordures conçues par Jean-Baptiste Blain de Fontenay, dont les motifs sont en rapport avec la saison représentée.
Une charmante pièce des Jeux d'enfants, tissage de la manufacture de Beauvais (seconde moitié du XVIIe siècle), montre huit enfants, dont certains vêtus à l'antique, s'adonnant joyeusement au jeu de quilles dans une nature foisonnante et toute imaginaire. Contrairement à la pièce du Cheval fondu, présentée dans le salon d'attente, Le Jeu de quilles a conservé son élégante bordure où alternent palmes et fleurs.
Les tapisseries de L'Histoire de Moïse appartiennent à deux tentures différentes, dont le tissage fut achevé en 1685 par la Manufacture royale des Gobelins. Elles furent tissées d'après des œuvres de Nicolas Poussin (1594-1665) pour huit des pièces et de Charles Le Brun (1619-1690) pour les deux autres. Moïse exposé sur le Nil d'après Poussin,– dont seul le fragment gauche a été envoyé à Pau – appartient à la deuxième tenture en haute lisse à or et Le Buisson ardent, d'après Le Brun à la troisième tenture en basse lisse à or. La première représente la scène de l’abandon de Moïse sur le Nil. On y voit son père Amran et son frère Aaron s’éloigner tristement. L'élément principal de la scène, la mère Jocabed déposant le berceau sur le fleuve égyptien, n'est pas visible dans cette pièce amputée de plus de la moitié. Dans Le Buisson ardent, Moïse s’effraie à la vue d’un buisson qui brûle sans se consumer et où se manifeste la présence de Yahvé et devant le serpent qui se dresse devant lui. Ce serpent est certainement un hommage de Charles Le Brun à son protecteur Jean-Baptiste Colbert dont l’emblème était la couleuvre (en latin coluber). Ces deux pièces tissées pour Louis XIV sont particulièrement riches en fils d’or qui, au temps du roi-soleil, permettaient d'accrocher la lumière mouvante des flambeaux.
Enfin, un peu cachée par le lit derrière lequel elle est placée, la sixième pièce de tapisserie appartient à la tenture des Sujets de la Fable. La Manufacture des Gobelins en fit réaliser les modèles par des peintres cartonniers d’après des dessins attribués à Raphaël ou des estampes reproduisant ses œuvres. La tenture en huit pièces fut tissée à partir de 1686 et livrée en 1700 pour le château de Marly. Il s’agit ici d’un fragment (partie droite) de la scène représentant L’hymen de l’Amour et de Psyché, dont le carton fut exécuté par le peintre Louis de Boulogne (1654-1733). Elle montre l’épilogue de la fable mythologique, lorsque Psyché, la trop belle mortelle épouse le dieu de l’Amour, après avoir traversé bien des épreuves, et accède à l’immortalité et au banquet des dieux.